Histoire du plus petit carré trimagique
Texte rédigé par Walter Trump, en janvier 2003.


Le 25 avril 2002, un ami hollandais, Aale de Winkel, m’indiquait un nouveau site à l’adresse www.multimagie.com. Le français Christian Boyer y décrit le développement historique des carrés multimagiques et la découverte des premiers carrés tétra et pentamagique effectuée par lui-même et son ami André Viricel. Un carré multimagique est un carré magique restant magique quand tous ses nombres sont élevés à différentes puissances (au carré, au cube, …).

Afin de construire des carrés multimagiques d’ordre n, il est intéressant de calculer des séries multimagiques d’ordre n : toutes les combinaisons possibles des nombres entiers n inférieurs ou égaux à n², dont la somme, la somme des carrés, la somme des cubes,… sont égales aux constantes magiques. En d’autres termes, parmi toutes les séquences de nombres, celles qui sont potentiellement candidates à être des lignes ou colonnes de carrés multimagiques.

Une série trimagique d'ordre 8

1  + 19  + 23  + 24  + 36  + 42  + 53  + 62  =     260 = (1  + 2  + ... + 64 ) / 8
1
2 + 192 + 232 + 242 + 362 + 422 + 532 + 622 =  11,180 = (12 + 22 + ... + 642) / 8
1
3 + 193 + 233 + 243 + 363 + 423 + 533 + 623 = 540,800 = (13 + 23 + ... + 643) / 8

Une intense conversation entre Christian Boyer et moi eut lieu par Internet au sujet des séries bimagiques. Mi-mai, il eut l’idée de passer des séries bimagiques au séries TRImagiques, me demandant de vérifier s’il y avait bien 121 séries trimagiques d’ordre 8. Je lui confirmais ce nombre le 18 mai. Il s’agit du vrai point de départ de ma recherche trimagique.

Nous avons ensuite discuté si il pouvait exister un carré trimagique plus petit que celui trouvé par Benson qui est d’ordre 32 (ce qui signifie 32 lignes et 32 colonnes). Cette discussion fut accompagnée, même si c’était d’une façon moins intensive, par d’autres amateurs de carrés magiques tout autour du monde. Quelques-uns estimaient que 32 était déjà le plus petit ordre possible (par exemple George Chen, de Taïwan), d’autres pensaient que cela pouvait être 27 (André Viricel, de France), mais aucun d’entre eux ne pensait que cela pouvait descendre en dessous de 16.

Christian Boyer avait déjà prouvé que les ordres inférieurs à 10 étaient impossibles. Je confirmais ses résultats par d’autres méthodes et allais ensuite au-delà en prouvant qu’un carré trimagique d’ordre inférieur à 12 ne pouvait exister.

Simultanément avec ces réflexions, nous calculions –pour de petits ordres n– toutes les combinaisons possibles. Jusqu’à l’ordre 10 les séries trimagiques peuvent être trouvées relativement rapidement. Avec l’ordre 11, j’arrivais au même résultat que Christian Boyer – après avoir corrigé une petite faute. Afin de trouver toutes les séries trimagiques d’ordre 12, quelques jours de calculs (sur un PC ordinaire) furent nécessaires. Je trouvais pas moins de 2 226 896 séries trimagiques d’ordre 12. Jusqu’à présent, ce résultat n’a pas encore été confirmé par quelqu’un d’autre. Toutes les séries sont constituées de 6 entiers pairs, et 6 entiers impairs.

Séries trimagiques,
toutes avec 6 entiers pair et 6 entiers impairs.

 1   5  45  69  73 143  70  72  74  86  90 142
 1   5  45  75  91 143  68  70  72  74  84 142
 1   5  47  77  87 143  60  70  72  82  84 142
  ...
93  95 101 111 125 139   4  22  40  42  48  50
93  97 113 115 125 129  10  26  30  42  44  46
99 111 113 115 117 125  22  26  28  30  40  44

Maintenant la question se posait de savoir si l’on pouvait construire un carré trimagique d’ordre 12 à partir de toutes ces séries trimagiques. Il faut imaginer que le temps nécessaire était comme pour aller à une chasse au trésor. Où chercher ? Comment chercher ? Est-ce que le trésor existe vraiment ?

Est-il possible d’y arriver par la “force brute” ? Avec un PC, on pourrait calculer tous les carrés magiques d’ordre 12 et détecter si il y en a parmi qui ont des propriété trimagiques. Une telle façon de procéder serait un désastre à cause du nombre incroyablement élevé de carrés magiques d’ordre 12. Mon approche statistique m’indique que ces carrés sont plus de 10188 (un nombre avec 189 chiffres – au-delà de l’imagination humaine).

Un autre approche serait de trouver 12 séries trimagiques indépendantes, qui formeraient ainsi les 12 lignes du carrés. Ensuite, on pourrait essayer de changer et rechanger la position des nombres dans les lignes jusqu’à ce que les colonnes aussi finissent par être des séries trimagiques. Mais cette méthode ne semble pas très efficace, le temps de calcul se compterait probablement en milliards d’années.

Pour pouvoir prétendre au trésor, il fallait s’y prendre plus finement. C’est pourquoi la recherche fut limitée au carrés que l’on peut nommer symétriques. Avec ces carrés, la somme de deux nombres situés dans des cellules symétriques vaut toujours n²+1. Des nombres ayant cette somme dont appelés complémentaires. Maintenant, pour les lignes, seulement les séries trimagiques symétriques étaient importantes, et pour les colonnes, les séries sans paires complémentaires de nombres. De plus, seulement la moitié gauche du carré (donc 72 nombres) avait à être pris en compte. La moitié droite en résultait ensuite directement par symétrie.

Ainsi, la recherche au trésor était mieux cernée, mais pas encore la méthode pour chercher. Pour chercher de l’or, on peut d’abord chercher si au moins un métal quelconque est présent. Pour chercher des carrés magiques, on peut d’abord chercher des carrés semi-magiques. Avec ces carrés, la somme des nombres des diagonales ne sont pas pris en compte.

Avec des carrés semi-magiques, les caractéristiques restent en changeant les lignes et colonnes. Ainsi, on peut mettre n’importe quel nombre dans le coin haut gauche. Je choisit le nombre 23, puisque c’est lui le plus fréquent dans les séries trimagiques. Vous avez seulement 3 646 possibilités pour la première ligne, 107 099 possibilités pour la première colonne, 33 004 possibilités pour toute autre ligne et 473 663 pour toute autre colonne. Mais il y a encore trop de possibilités pour une stratégie d’essais jusqu’à ce qu’il n’y ait pas d’erreur. Ayant défini la première ligne et la première colonne, il y a seulement 55 nombres qui restent à placer. Avec une astuce, les lignes et colonnes trimagiques potentielles peuvent être décrites par un seul entier de 64 bits chacune. Grâce à la fonction AND, on peut déterminer extrêmement rapidement si deux lignes ont des nombres en commun. D’abord, cinq autres colonnes indépendantes sont ajoutés à la première colonne. Et une procédure de retour à l’étape précédente, appelée “backtrack”, est utilisée. Cela signifie que l’on peut suivre toutes les routes possibles, mais si l’on arrive à un cul-de-sac, on revient alors à la précédente bifurcation. Les lignes aussi sont cherchées par une procédure de backtrack. Ici, ce n’est pas seulement l’indépendance des lignes qui doit être respectée, mais il faut aussi que chaque ligne ait en commun un nombre avec chacune des colonnes.

Pour l’algorithme, j’ai utilisé le langage de programmation GB32, qui a été développé en Allemagne par la société Gfa-Soft, de Frank Ostrowski. GB32 peut être utilisé efficacement pour résoudre des problèmes mathématiques, même si il n’est pas encore hélas très populaire. La première version de mon programme fut terminée en mai 2002. Quelques heures de calculs ne donnèrent qu’un succès partiel. Quelques carrés “incomplètement” trimagiques furent trouvés, où seulement 4 colonnes ne remplissaient pas les conditions de trimagie. Le 1er juin, un carré presque semi-trimagique fut trouvé, où 12 lignes et 10 colonnes étaient trimagiques.

Carré presque semi-trimagique (1er juin 2002).

53

67

74

69

1

3

142

144

76

71

78

92

79

72

64

5

35

7

138

110

140

81

73

66

118

11

9

55

85

68

77

60

90

136

134

27

15

17

13

82

62

57

88

83

63

132

128

130

124

108

122

126

43

56

89

102

19

23

37

21

129

46

36

120

104

29

116

41

25

109

99

16

38

24

34

47

114

18

127

31

98

111

121

107

10

133

95

59

96

33

112

49

86

50

12

135

48

131

75

8

40

39

106

105

137

70

14

97

44

113

139

100

30

42

103

115

45

6

32

101

93

94

125

141

117

65

80

28

4

20

51

52

119

54

84

58

143

22

123

2

87

61

91

26

Christian Boyer réagit alors ainsi :

Puis Christian Boyer modifia le carré ci-dessus de façon à ce que toutes les colonnes deviennent au moins bimagiques et à ce que que les diagonales deviennent magiques. Du coup, le carré devenait magique, semi-bimagique et presque trimagique.

Après la transformation semi-bimagique
et presque trimagique de Christian Boyer.

53

69

71

78

1

142

3

144

67

74

76

92

79

5

81

73

35

138

7

110

72

64

140

66

118

55

136

134

85

68

77

60

11

9

90

27

15

82

132

128

62

57

88

83

17

13

63

130

124

126

23

37

43

89

56

102

108

122

19

21

129

120

109

99

104

29

116

41

46

36

25

16

38

47

111

121

114

18

127

31

24

34

98

107

10

59

50

12

96

33

112

49

133

95

86

135

48

8

70

14

40

106

39

105

131

75

137

97

44

100

6

32

30

103

42

115

113

139

45

101

93

141

20

51

117

65

80

28

94

125

4

52

119

58

61

91

143

22

123

2

54

84

87

26

Malgré ce succès partiel, le programme n’était pas encore assez efficace. Avec cette version de programme, il aurait certainement fallu des années avant de trouver au moins un carré semi-trimagique.

Quelques idées sur la façon d’améliorer le programme me vinrent et prirent forme dans la nuit du samedi 8 juin 2002. Je me levais vers 6 heures du matin et ajoutais mes nouvelles idées dans le programme existant. Autour de 9 heures, les premiers carrés semi-trimagiques d’ordre 12 étaient trouvés.

Les premiers « échantillons métalliques » étaient trouvés. Il fallait maintenant voir si il y avait de l’or parmi eux. Un autre programme devait aider à créer des diagonales trimagiques en changeant les lignes et les colonnes. Après quelques heures, exactement avec le 88ème carré semi-trimagique, une diagonale trimagique pouvait être construite et –pour des raisons de symétrie- la seconde diagonale était automatiquement trimagique, aussi. Mais je suspectais qu’il y ait eu une erreur pour que le succès arrive aussi vite, en ce même jour. Aussi je testais toutes les caractéristiques demandées, à l’aide d’un tableur. Chaque nombre entre 1 et 144 était utilisé une seule fois, toutes les sommes étaient correctes.

Le carré trimagique original trouvé par Walter Trump en juin 2002.

1

22

33

41

62

66

79

83

104

112

123

144

9

119

45

115

107

93

52

38

30

100

26

136

75

141

35

48

57

14

131

88

97

110

4

70

74

8

106

49

12

43

102

133

96

39

137

71

140

101

124

42

60

37

108

85

103

21

44

5

122

76

142

86

67

126

19

78

59

3

69

23

55

27

95

135

130

89

56

15

10

50

118

90

132

117

68

91

11

99

46

134

54

77

28

13

73

64

2

121

109

32

113

36

24

143

81

72

58

98

84

116

138

16

129

7

29

61

47

87

80

34

105

6

92

127

18

53

139

40

111

65

51

63

31

20

25

128

17

120

125

114

82

94

Le trésor avait été trouvé ! Un carré trimagique d’ordre 12 s’affichait à l’écran. La recherche du plus petit carré trimagique possible avait abouti.

Le lendemain j’envoyais le carré par message Internet à tous les amateurs de carrés magiques que je connaissais et leur demandais de vérifier le résultat. Quelques-unes de leurs réactions sont données à la fin de ce document. Tous confirmaient que le résultat était correct.

Mes meilleurs remerciements vont à Christian Boyer (France), qui déclencha la recherche par ses publications et ses idées. Sans ses contributions et son examen critique au fur et à mesure de mes calculs, la recherche n’aurait pas abouti. Mes meilleurs remerciements vont également à Aale de Winkel (Hollande), qui m’encouragea continuellement pendant l’année pour travailler dans le domaine des carrés magiques. Harvey Heinz (Canada) et George Chen (Taïwan) m’aidèrent également beaucoup.

Walter Trump, Nuremberg, janvier 2003.


Messages Internet reçus suite à la découverte du plus petit carré trimagique

Christian Boyer (France, ancien directeur technique de Microsoft France, fondateur d’une société de logiciels, auteur des premiers carrés tétra et pentamagiques, auteur du site www.multimagie.com)

Yung C. Chen, alias George Chen (Taïwan, inventeur de méthodes de construction, auteur de textes parlant de combinaisons)

Aale de Winkel (Pays-Bas, physicien et scientifique, auteur de la magic square encyclopedia  sur Internet.)

Harvey Heinz (Canada, auteur du Magic Square Lexicon,  auteur du plus important site mondial sur les carrés magiques)


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