Le cube magique de Fermat, 1640.
Premiers pas vers les cubes magiques parfaits.
Extraits des lettres originales, écrites en vieux français.
D'après le livre "Correspondance du P. Marin Mersenne, religieux minime", tome IX, Editions du CNRS, 1965.
Cette couleur a été ajoutée pour repérer les amusantes "amabilités" échangées entre Frenicle et Fermat.


1) Bernard Frenicle de Bessy (Paris) au père Marin Mersenne (Paris)
(fin février ou début mars 1640)

    Mon Reverend Pere,

Puisque vous desirés que je vous rafrechisse la memoire de l'entretien que nous eûmes dernierement ensemble touchant les nombres des tables magiques, je vous diray que ce que Mr. Fermat vous en a envoyé est fort peu de chose, car il n'y a presque rien que ce qu'il peut avoir veu dans Stiphelius, Spinula, et la vieille Clavicule, et que la methode qu'il dit avoir pour construire n'est autre que celle qu'ils ensegnent, encore qu'elle ne soit pas d'eux ; laquelle, pour ce qui regarde les impairs, est la plus noble qui se sauroit trouver, et est si facile que ce n'est qu'un jeu d'enfant, et n'y a pas grand sujet de se tant glorifier pour l'avoir aprise dans un livre. S'il savoit quelque chose de nouveau pour les pairs, il vous devroit avoir envoyé une table du quaré de 18. ou 22. ou pour le moins 14. qui a servi de borne à Bachet (1); et quand il l'aura fait, nous avoüerons qu'il y sçait quelque chose. Ce qu'il vous a envoyé n'est pas digne d'un honete home come lui, mais est plustot l'ocupation d'un escolier et, s'il veut s'employer à un exercice qui luy soit plus convenable, sans sortir de cette matiere, qu'il dispose les nombres d'un quaré en telle sorte que les lignes et diagonales soient égales et que, telles enceintes qu'on voudra, et non plus, en etant otes, le quaré qui restera soit de meme nature que le premier. (...)

Mais s'il veu sortir des quarés et s'apliquer aux solides, il poura considerer les nombres disposés en telle sorte qu'ils forment les trois faces extérieures d'une pyramide triangulaire ou tetraedre, et faire que lesdits nombres, étans en progression donnée, fassent toutes les enceintes egales entre elles.  (...)

Je vous diray aussy que, s'il ne veut point sortir des plans, je luy pourois demander un Exagone rempli de nombres consécutifs, qui eut même some en chaqu'un de ses cotés, et des lignes qui vont du centre à la circonference. (...)

Voilà, mon Père, si j'ay bonne memoire, un racourci de tout l'entretien que nous eumes ensemble avant-hier.

Je suis, mon tres Reverend Pere,

votre tres humble et affectioné serviteur,
Frénicle


2) Pierre de Fermat (Toulouse) au père Marin Mersenne (Paris)
(1er avril 1640)

    Mon Reverend Pere,

Je vous dois deux réponses pour les deux dernieres lettres que j'ai recues de votre part et que j'ai trouvées toutes deux en même temps à mon retour de la campagne ; le sujet de la premiere concerne Monsieur Desargues et celui de la seconde Monsieur de Frenicle.

(...)

Je viens aux propositions des quarrés ; sur quoy je vous puis protester que je n'ai jamais vu ni Stiphelius, ni cette Clavicule, et ne sais ce que ces livres contiennent et, pour faire voir que j'ai vu peut-être plus loin qu'eux et satisfaire à la semonce de M. Frenicle, je vous envoie le quarré de 14 aux conditions requises (...)

Je passe bien plus outre, et passant aux solides qui le sont effectivement, j'ai trouve une regle generale pour ranger tous les cubes à l'infini, en telle façon que toutes les lignes de leurs quarrés, tant diagonales, de largeur, de longueur, que de hauteur, fassent un mesme nombre, et determiner outre cela en combien de façons differentes chasque cube doibt estre rangé, ce qui est, ce me semble, une des plus belles choses de l'Arithmétique.

Vous en trouverés un exemple sur le cube de 64 (2), à côté du quarré de 14.

Il faut ranger les quatre quarrés qui font la solidité du cube, en telle façon que le premier soit dessous ; le deuxieme soit mis sur le premier, en telle façon que 53 soit sur 4 et 56 sur 1 ; il faut ensuite mettre le troisieme sur le deuxieme, en telle façon que 60 soit sur 53 et 57 sur 56 ; et enfin il faut mettre le quatrieme sur le troisieme, en sorte que 13 soit sur 60 et 16 sur 57. Cela estant fait, vous aurez un cube qui sera divisé en douze quarrés, lesquels se trouveront tous disposés aux conditions requises ; il y aura en tout 72 lignes differentes (3), chascune desquelles fera une mesme somme, savoir 130.

Vous voyez combien ceci est au-dessus du tetraèdre et de l'hexagone de M. Frenicle, desquels le premier n'est pas solide en effet, mais par fiction seulement, quoique je ne doute pas qu'il ne puisse etre haussé en solide ;  (...)

Je soumets pourtant le tout à mondit Sr de Frenicle et crois que, si j'avois l'honneur d'etre connu de lui, il auroit omis quelques paroles qui sont dans sa lettre. Je ne resterai pas de lui assurer l'estime que je fais de lui et de le conjurer de me faire part de sa methode. (...)

Excusez si le papier me manque, etc.

Fermat


Notes de Christian Boyer

(1) Livre "Problemes plaisans et delectables qui se font par les nombres" de Bachet de Méziriac, Lyon, 1624.
(2) Ce cube de Fermat peut être téléchargé sous forme de fichier Excel depuis la page des cubes magiques parfaits.
(2') Ligne erronée 88 58 59 5 dans le livre des Editions du CNRS page 247, corrigée en 8 58 59 5.
(2'') Ligne erronée 36 30 31 32 dans le livre des Editions du CNRS page 247, corrigée en 36 30 31 33.
(3) Erreur de Fermat : il y a 64 alignements magiques, et non pas 72, qui donnent la somme 130.


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