Sur le carré de 3 et sur les carrés à deux degrés
Texte rédigé par Edouard Lucas, publié dans Les Tablettes du Chercheur, 1er mars 1891


Pour trouver tous les carrés magiques de 3, on commence par diminuer tous les éléments du tiers de la somme constante ; alors la somme des nombres de chaque ligne, de chaque colonne, de chaque diagonale est nécessairement égale à zéro.

En exprimant d'abord que la somme est nulle pour chaque ligne et pour chaque colonne, le carré a forcément la forme suivante

Si l'on exprime que la somme des nombres placés dans chacune des diagonales est nulle, on a les conditions

en ajoutant, on trouve d=0, et si l'on pose

le carré devient

Il ne peut y en avoir d'autres à somme nulle. Ce carré est formé des trois progressions arithmétiques

de même raison p. De plus, dans la progression intérmédiaire 2, chacun des termes est égal à la demi-somme des termes correspondants des deux autres ; ces conditions subsistent dans le carré magique dont la constante n'est pas nulle. On a donc ce théorème :

Pour former un carré magique avec neuf nombres, il faut et il suffit que ces nombres appartiennent à trois progressions arithmétiques de même raison et que le premier terme de l'une d'elles soit égal à la demi-somme des premiers termes des deux autres.

Lorsque ces conditions sont remplies, le problème ne comporte qu'une seule solution.

Si l'on considère le tableau des neuf quantités

on obtient un carré magique dans lequel la somme des carrés des nombres contenus dans une même ligne ou dans une même colonne est égale au carré de (p²+q²+r²+s²). Ce tableau est extrait du tome I de la Théorie des Nombres (page 129), qui vient de paraître à la librairie Gauthier-Villars.

Le n°2 des Tablettes du Chercheur contient un très remarquable carré magique de 8, à deux degrés, qui a été obtenu par M. Pfeffermann. - En d'autres termes, il s'agit de disposer les 64 premiers nombres sur les cases de l'échiquier, de telle sorte que la somme des termes de chaque ligne, de chaque colonne et de chaque diagonale soit la même ; et, de plus, que si l'on remplace tous les nombres par leurs carrés, le carré reste magique.

Nous allons faire voir que le problème est impossible pour le carré de 3, avec des nombres inégaux, et qu'il est impossible pour le carré de 4, en prenant 16 nombres consécutifs. En effet, on doit d'abord remarquer qu'un carré magique à deux degrés conserve toutes ses propriétés lorsqu'on augmente tous les termes d'un nombre quelconque x. Lorsqu'un terme a devient (x+a), son carré devient (x²+2ax+a²) ; par conséquent, en supposant par exemple, un carré de 4, et en désignant par a, b, c, d, les termes d'une rangée ou d'une diagonale, on a, pour les rangées et les diagonales

S1 et S2 désignant les constantes pour le premier degré et le second. En augmentant de x tous les éléments du carré, la somme des termes d'une rangée devient

et augmente de 4x ; d'autre part, la somme des carrés des nombres d'une rangée devient

elle augmente pour chacune des rangées ou des diagonales, de la même quantité 4x²+2xS1.

Au lieu d'augmenter de x, on peut diminuer tous les termes de x ; ainsi, pour le carré de 3, en égalant la somme des carrés de deux lignes ou de deux colonnes, on obtient p=0 ou q=0. Donc, il n'existe pas de carré de 3, à deux degrés, formé de nombres tous différents.

De même, si un carré de 4, à deux degrés, est formé de seize nombres consécutifs, on peut le supposer formé des nombres de 1 à 16 ; alors S1=34 et S2=374. Le nombre 16²=256 doit appartenir à deux rangées ; mais 374-256=118 n'est décomposable que d'une seule manière en somme de trois carrés inégaux deux à deux, 81, 36, et 1. Donc, il est impossible de faire un carré magique à deux degrés, avec 16 nombres consécutifs.

Edouard Lucas.


Note de Christian Boyer

Cet article a ensuité été republié dans le tome IV des Récréations Mathématiques d'Edouard Lucas (note II, pages 224 à 228).

Il est amusant de constater que John R. Hendricks, grand spécialiste de carrés magiques, a publié en 1998 une preuve différente de l'impossibilité du carré bimagique 3x3 sans apparemment avoir eu connaissance de la démonstration faite un siècle plus tôt par Edouard Lucas. "Note on the bimagic square of order 3", J. Recreational Mathematics, Vol. 29(4), pages 265-267.


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